
1. Questions sur l'entrée en guerre
Certes, Kadhafi est sans doute condamné et c'est tant mieux. Mais ce conflit est à la fois révélateur et destructeur. Révélateur de l'irresponsabilité de cette présidence et de la faiblesse de l'Europe. Révélateur de l'incapacité de l'Otan. Destructeur de la Libye d'abord et, en ricochet, de bon nombre d'espoirs portés par les révolutions arabes. Destructeur enfin par la catastrophe humanitaire qu'il est en train de provoquer avec près d'un million de réfugiés ayant fui le pays dans des conditions terribles. Trois mois après les premiers bombardements, voici les principaux éléments de bilan d'une guerre devenue un dangereux guêpier...
Plus le temps passe et plus les interrogations grandissent sur les raisons réelles de l'entrée en guerre. "Protéger les populations civiles", dit la résolution 1973 de l'ONU, éviter "un épouvantable massacre à Benghazi", a claironné partout Bernard-Henri Lévy, relayé par Nicolas Sarkozy et Alain Juppé. Est-ce si simple ? Un premier rapport d'Amnesty International, rendu public jeudi 16 juin, interroge fortement la réalité et l'ampleur de la répression meurtrière engagée par Kadhaficontre son peuple. L'organisation conteste le nombre de victimes et accuse les rebelles d'avoir multiplié, eux aussi, les crimes.
Donatella Rovera, qui vient de passer trois mois en Libye pour Amnesty, assure que le nombre de victimes de Kadhafi durant la première phase des événements – avant la guerre – est bien moindre qu'annoncé. "Le nombre de morts a été grandement exagéré, explique Donatella Rovera. On parlait de 2.000 morts à Benghazi. Or la répression a fait dans cette ville de 100 à 110 morts et à Al-Baïda une soixantaine".
C'est une fois l'intervention militaire engagée que l'armée de Kadhafi s'est déchaînée contre les populations : "A Misrata, les crimes de guerre des pro-Kadhafi sont clairs. Il y a eu des tirs totalement sans discrimination sur les civils", ajoute la représentante d'Amnesty (Lire icil'article du NouvelObs.com sur le sujet). Dans le même temps, elle pointe la véritable "chasse aux sorcières" menée par les rebelles contre les Africains sub-sahariens présents dans le pays et considérés, à tort, comme des mercenaires.
2. Kadhafi en tyran suractif
Il ne devait tenir que quelques jours : Kadhafi l'insupportable dictateur devait être renversé, assassiné par ses proches, trahi. Ou prendre la fuite dans l'écroulement bruyant de son appareil répressif et la déroute de son armée.
Rien de cela ne s'est donc passé. Et, une fois de plus, comme en Afghanistan et comme en Irak, les analyses informées des experts relayées par nos va-t-en-guerre se révèlent entièrement fausses, tout comme les évaluations fournies par les services de renseignements. La fuite soudaine à Londres de Moussa Koussa, bras droit historique de Kadhafi, devait être le signal de défections en cascade des plus hauts responsables du régime. Rien de tel ne s'est produit .
Kadhafi peut ainsi parader à Tripoli. Sa télévision diffuser des images de manifestants en liesse applaudissant le guide. Le dictateur reçoit le président sud-africain Jacob Zuma. Négocie avec des émissaires de l'Union africaine. Joue aux échecs avec Kirzan Illiumjinov, ancien dictateur aux petits pieds d'une province russe (la Kalmoukie) et président de la Fédération internationale d'échecs (Fide). Et le colonel affirme sur tous les tons qu'il n'est pas question pour lui "de quitter son pays" alors qu'il est le "plus grand résistant à l'impérialisme occidental".
Et si ce n'est lui, c'est donc son fils. Saïf al-Islam Kadhafi a ainsi pu, dans un entretien à Corriere della Serra, jeudi 16 juin, proposer l'organisation "d'élections libres dans les trois mois" et en présence d'observateurs internationaux, ajoutant au passage : "Je ne doute pas un seul instant que l'écrasante majorité des Libyens soutient mon père et considère les rebelles comme des islamistes fanatiques et fondamentalistes, des terroristes soutenus par des étrangers, des mercenaires à la solde de Sarkozy".
3. Le sur-place politique
Dans une note récente, le très classique Institut international d'études stratégiques (IISS) dresse un sombre bilan des initiatives politiques qui ont accompagné la guerre (Consulter ici la note). D'abord en notant que plusieurs pays (France, Grande-Bretagne, États-Unis, rejoints ensuite par la Russie) font du départ de Kadhafi, par ailleurs sous la menace d'un mandat d'arrêt de la Cour pénale internationale, un préalable non négociable. Ce que ne dit pas la résolution 1973 duconseil de sécurité (il n'est question que de "protection des populations civiles", pas de changement de régime) et ce qui ne laisse guère de marge de man½uvre. Le cessez-le-feu proposé fin mars par Kadhafi s'est vite révélé une supercherie, tout comme un plan de transition un temps évoqué et qui ne visait qu'à consolider le maintien au pouvoir de ses fils.
"Toutes les négociations politiques avec le régime pour persuader Kadhafi de quitter le pouvoir ont échoué", rappelle l'IISS. Celles engagées par l'Union africaine comme celles conduites par l'envoyé spécial des Nations unies, sans compter de nombreux contacts plus informels qui auraient repris ces derniers jours. Par ailleurs, un accord pourrait-il être obtenu avec le régime de Tripoli qu'il serait rejeté par les rebelles qui excluent, à ce stade, toute négociation ou partage futur du pouvoir.
Dans un rapport solidement documenté (Télécharger ici le rapport), le centre d'études international Crisis Group rappelle que la résolution 1973 demande un cessez-le-feu immédiat. Mais l'ICG fait le même constat : les gouvernements les plus impliqués dans la guerre n'en veulent pas. Or, estime-t-il, "il est temps d'engager des négociations directes entre le Conseil national de transition (ndlr : les rebelles) et le régime de Kadhafi" pour mettre fin à ce qui est "d'ores et déjà devenu une guerre civile".
4. L'impasse militaire
Ce blocage politique ne serait rien si la guerre se déroulait comme prévu. Or, selon des responsables britanniques cités par le journal The Guardian, "plus personne désormais n'envisage une victoire militaire" (Lire ici l'article, en anglais). Cette déclaration "off" fait écho à de nombreuses autres, en Allemagne, aux États-Unis et en Grande-Bretagne. "En l'état, il n'y a pas de raison de croire en une victoire de l'une ou l'autre partie dans un horizon proche. (...) La résistance du régime Kadhafi a été sous-estimée, nous sommes dans une impasse militaire", résume International Crisis Group.
Signe le plus évident : le mandat de l'Otan, qui a pris les commandes de l'opération militaire dès les premiers jours de guerre (malgré l'opposition de Nicolas Sarkozy), s'achevait initialement fin juin. Il a été prolongé de 90 jours, jusqu'à la fin septembre. A la date du 17 juin, l'Otan a lancé 11.387 raids aériens sur la Libye, dont 4.307 destinés à des bombardements ou tirs de missiles. Les cibles sont les plus diverses : bâtiments, centres de commandements (100 ont été touchés), dépôts de munitions (700 frappés), chars, véhicules blindés, transports de troupes, lance-roquettes et batteries anti-aériennes (500). "Nous avons frappé ou détruit environ 1.800 cibles", annonçait fièrement début juin, le secrétaire général de l'Otan, Anders Fogh Rasmussen.
Les 150 sorties aériennes organisées en moyenne chaque jour n'ont qu'un impact limité sur l'armée de Kadhafi (Lire ici les communiqués quotidiens de l'Otan). Selon l'IISS, "l'Otan revendique avoir détruit plus d'un tiers des capacités militaires du régime mais les forces de Kadhafi se sont rapidement adaptées" : pick-up, petites unités mobiles, armement léger, présence dans les villes et au milieu des populations civiles rendent leur identification difficile et les interventions beaucoup plus complexes.
La présence massive de mercenaires à la solde de Tripoli, largement mise en avant par les membres de l'Otan, semble faire partie des éléments de désinformation soigneusement distillés (tout comme cette rumeur de distribution de Viagra aux soldats du régime !). Selon une mission du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R) et du Centre international de recherche sur le terrorisme (Ciret-Avt) qui vient de publier un rapport de mission en Libye, "les effectifs des combattants étrangers sont difficiles à évaluer. Les chiffres qui circulent sont gonflés (jusqu'à 6.000, selon certaines sources). Quel que soit leur nombre, ils ne constituent qu'une faible partie des forces libyennes" (Télécharger ici le rapport).
A ce stade, l'impasse militaire semble totale, le pays étant de fait coupé en deux et les forces rebelles ayant échoué à occuper durablement de nouveaux territoires, en particulier dans l'ouest. Alors que la résolution 1973 exclut tout déploiement de troupes au sol, plusieurs centaines d'instructeurs ont été envoyés à Benghazi par la Grande-Bretagne, les États-Unis, l'Italie, la France et la Jordanie. "L'expérience en Afghanistan montre qu'il faudra des mois pour que les rebelles de l'Est du pays améliorent leurs capacités", note l'IISS.
Si tous les experts pointent la désorganisation complète des forces rebelles, beaucoup s'inquiètent des risques d'escalade incontrôlée pour briser un statu quo qui joue clairement en défaveur de l'Otan. "Plus la guerre va durer, note l'IISS, plus les risques se multiplient de bavures et de pertes civiles importantes. Le risque est aussi celui d'une radicalisation du régime et des rebelles qui pourraient perpétrer des crimes de guerre. Les combats pourraient déborder en Tunisie (...) La fuite de près d'un million de personnes provoque des problèmes grandissants".
5. L'Otan, la machine à perdre
Ces trois mois d'échecs militaires sont en train de provoquer de sérieux craquements au sein de l'Otan. La vieille Alliance atlantique a déjà à son actif dix années de défaites successives en Afghanistan. Et la voilà une fois de plus en panne !
L'homme qui vient de dresser ce constat est l'Américain Robert Gates. Cet ancien patron de la CIA, ministre de la Défense de George Bushpuis de Barack Obama, conservateur et vieux routier de la guerre froide, part à la retraite et peut donc parler franc. Il l'a fait devant une batterie d'experts réunis à Bruxelles, la semaine dernière (Lire ici un article du New York Times sur le sujet).
Qu'a dit Gates, qui était personnellement opposé à cette guerre ? Que les États-Unis, qui se contentent d'une "place à l'arrière" dans ce conflit, comme l'a dit Obama, sont épuisés par dix années de guerre et ne peuvent plus assurer 75% des dépenses de l'Otan. Que les Européens ne peuvent faire financer leur défense par le contribuable américain. Que la Libye est une illustration supplémentaire de l'incapacité de cette organisation militaire.
Exemple : ce fameux "central command" de l'Otan en Italie, à Naples, conçu pour gérer plus de 300 sorties aériennes quotidiennes et qui peine à en organiser 150 ! Exemple : le manque de munitions qui menace déjà la coalition ! Exemple : cet avertissement du premier responsable de la marine britannique, expliquant qu'il n'a pas les moyens de poursuivre les opérations au-delà du mois de septembre (Lire ici l'article de The Guardian sur le sujet). Exemple : le déploiement de seulement 16 hélicoptères d'attaque (4 britanniques et 12 français). Exemple : l'incapacité des Européens à assurer sans les États-Unis leurs communications et leurs renseignements.
Résumé par Robert Gates, cela donne cela : "La plus brillante alliance militaire de toute l'histoire est en opération depuis seulement onze semaines contre un régime pauvrement armé et déjà, des alliés, à court de munitions, demandent une fois de plus aux États-Unis de faire la différence". Car la grande coalition, triomphalement annoncée par Nicolas Sarkozy au mois de mars, s'est réduite comme peau de chagrin. Si dix-huit pays participent officiellement à la campagne militaire, la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis supportent l'essentiel de l'effort de guerre. Et plus de la moitié des membres de l'Otan n'apportent aucune contribution. Quant aux pays arabes, que la France se faisait fort de mobiliser, ils se limitent à la Jordanie, au Qatar et aux Émirats arabes unis qui se contentent de missions de logistique et de surveillance.
6. Une opposition libyenne en pointillé
Les trois mois de guerre auront au moins permis d'en apprendre un peu plus sur les rebelles et sur ce fameux Conseil national de transition, dont BHL s'est autoproclamé le porte-voix, jusqu'à commettre une énorme gaffe en Israël (Lire ici l'article de France24.com sur le sujet). Or les indications encore parcellaires laissent apparaître une opposition éclatée où les démocrates sont largement minoritaires.
International Crisis Group a mené une longue enquête sur ce conseil, dont une partie des 33 membres demeurent d'ailleurs encore inconnus (pour des raisons de sécurité, officiellement). On y trouve, outre des démocrates liés à des mouvements d'opposition en exil ou à des associations internationales de défense des droits de l'homme, quelques hauts dignitaires du régime Kadhafi ayant fait défection à partir de février.
Ainsi du président du Conseil national de transition, Mustapha Abdul Jalil. Proche du fils Kadhafi, Saif al-Islam, il est surtout connu pour avoir été le juge qui a confirmé, à deux reprises, la condamnation à la peine de mort des infirmières bulgares. Nommé ministre de la Justice en 2007, il a fait défection le 21 février 2011. Mahmoud Jibril, aujourd'hui en charge de l'équivalent du gouvernement provisoire du Conseil, était lui aussi un proche du fils Kadhafi promu en 2007 mais considéré, il est vrai, comme un "réformiste".
Pas franchement "réformiste", on retrouve également dans ce conseil Abdul Fatah Younis al-Obeidi, vieux compagnon de Kadhafi et créateur de ses forces spéciales ainsi qu'ancien ministre de l'Intérieur. C'est lui qui a pris le commandement des forces rebelles. Que faut-il penser de ce conseil de transition? International Crisis Group note son caractère transitoire et la présence de "technocrates" qui, "sur le tard, pour beaucoup d'entre eux, se sont fait les avocats de réformes".
Pour le CF2R, beaucoup plus critique, "le CNT est une coalition disparate aux intérêts divergents. Les véritables démocrates n'y sont qu'une minorité, quasiment otages des tenants d'un retour à la monarchie ou de l'instauration d'un islam radical et de nouveaux convertis de l'ancien régime (...) Le CNT n'offre en conséquence aucune garantie. La Libye est le seul pays du “printemps arabe” dans lequel la guerre civile est installée – avec un risque réel de partition – et où le risque islamiste s'accroît".
7. Les risques d'un "État failli"
Les engagements répétés des rebelles pour la création d'une "démocratie libérale et moderne" masquent mal les innombrables risques. Celui, noté par l'IISS, d'une installation dans une guerre civile de plus en plus meurtrière. Les nombreuses inconnues liées à l'attitude de tribus aujourd'hui encore fidèles à Kadhafi, les dissensions au sein des rebelles, le contrôle des ressources pétrolières ne permettent pas d'exclure un scénario à l'irakienne voyant des affrontements intercommunautaires prendre le dessus ou une partition du pays s'installer durablement. C'est également ce type de risques que l'ICG met en avant.
Les experts du CF2R et de Ciret-Avt pointent pour leur part l'émergence "d'un risque terroriste". C'est également ce qu'avait mis en avant la CIA, immédiatement après le déclenchement des hostilités, notant que l'est du pays et Benghazi avaient été de longues années considérés comme des foyers de djihadistes. Plusieurs centaines d'hommes auraient ainsi combattu en Afghanistan et en Irak dans les années 2000, après avoir été recrutés par le Groupe islamique de combat libyen. C'est pour cette raison que les États-Unis ont refusé d'armer les rebelles.
Si peu d'éléments viennent à l'appui de ces thèses, le CF2R affirme que les services occidentaux "sont très inquiets du devenir des armes pillées par les insurgés dans les arsenaux libyens, en particulier desmissiles sol-air de type SAM-7". "Des membres d'Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) auraient en effet acquis plusieurs de ces matériels des mains de trafiquants libyens", ajoute le CF2R.
Enfin, le dernier risque souligné au vu des événements de ces derniers jours est une déstabilisation régionale et en premier lieu de la Tunisie, qui doit accueillir des dizaines de milliers de réfugiés et où des combats se sont tenus près des postes frontières.
Tandis que l'ICG appelle à des négociations dans l'urgence, le CF2R estime que "l'intervention occidentale est en train de créer plus de problèmes qu'elle n'en résout. Que l'on pousse Kadhafi à partir est une chose. Que l'on mette pour cela la Libye à feu et à sang et que l'on fasse le lit de l'islam intégriste en est une autre".
8. Le présidentialisme exacerbé
Nicolas Sarkozy a voulu cette guerre. Contre l'avis de nombreux Européens (Allemagne en tête). Et jusqu'à prendre de court Alain Juppé qu'il venait pourtant de nommer aux Affaires étrangères. Trois mois plus tard, le pouvoir est des plus discrets sur l'évolution du conflit. Les responsables militaires laissent transparaître leurs doutes par quelques périphrases. Le chef d'état-major de la marine, l'amiralPierre-François Forissier, a évoqué la semaine dernière "un problème de ressources humaines". Et de matériel : "Si le porte-avions Charles-de-Gaulle était engagé en Libye jusqu'à la fin 2011, il ne travaillerait plus du tout en opération en 2012", pour des raisons de maintenance, a-t-il souligné.
Aux États-Unis, les critiques se font de plus en plus fortes chez les républicains comme chez certains démocrates. Le Congrès veut être consulté sur l'engagement des troupes et menace de bloquer les budgets nécessaires. Cela a conduit l'administration à fournir aux parlementaires un document, en date du 15 juin 2011, extrêmement détaillé sur les opérations militaires et humanitaires menées par les États-Unis et sur leur coût : au 03 juin, cette opération a coûté 715 millions de dollars à Washington (Consulter ici le document complet). La précision du document tranche avec les silences ou le flou de notre ministère de la Défense...
Rien de tel en France, en effet, où l'opposition de gauche se tait (le PSet Jean-Luc Mélenchon ont, il est vrai, approuvé l'intervention, le PCFse déclarant contre). Au Parlement, le débat est tout aussi inexistant. La dernière audition d'Alain Juppé par la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale remonte au... 04 mai, et Alain Juppé n'a pu que répéter : "Kadhafi doit partir" (Télécharger ici l'audition).
9. "Libye : la pensée arrêtée", par Claude Lanzmann
Loin de l'unanimisme des principaux médias et d'un milieu intellectuel emmené par BHL, c'est justement l'un de ses amis, Claude Lanzmann, qui se pend à la sonnette d'alarme. Le directeur de la revue Les Temps modernes s'était déjà écarté de la doxa avec une tribune publiée dans Le Monde le 17 avril 2011, titrée : "Libye, rétheurs et décideurs". Cela lui avait valu les foudres béhachéliennes et une brouille qui dure toujours...
Claude Lanzmann y revient dans le numéro de mai-juillet des Temps modernes à l'occasion d'un excellent dossier sur les soulèvements arabes. Par un court texte titré "Libye, la pensée arrêtée", l'auteur duLièvre de Patagonie, dit l'ampleur de ses doutes : "L'unanimité fut écrasante, l'intervention militaire non discutée et toute pensée dissonante, tout questionnement sur les raisons et les buts d'une guerre qui taisait son nom ont semblé inconvenants", déplore-t-il.
"On ne sait rien ou très peu du “gouvernement” de Benghazi, sinon qu'il est constitué de gens proches de Kadhafi pendant des décennies. Ce qui se passe en Libye n'est-il pas au fond une guerre civile, qui autorise toutes les simplifications et les amplifications rhétoriques ? Kadhafi devait être écrasé en quelques jours sous la fessée des frappes. Il tient bon pour l'instant, malgré de très durs bombardements, une partie de la population le soutient, lui garde sa confiance. C'est, dira-t-on, le propre des dictatures. Mais il y a sûrement autre chose : la population libyenne ne souffrait pas de la même misère que ses voisins égyptiens et tunisiens, le fantasque dictateur n'était pas toujours aussi fantoche qu'on le prétendait. Même corrompu, il laissait à son peuple quelque profit de la rente pétrolière, l'essence et l'électricité étaient quasiment gratuites. La Libye a quitté la Une des journaux, quelquefois n'y figure plus du tout, il est question d'enlisement et de négociations. Nous espérons avoir la possibilité d'en dire plus dans un prochain numéro des TM".
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